Minuit by Green

Auteur:Green
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Fayard

IV

M. Agnel la rejoignit dans l'escalier.

— Vous excuserez mon cousin Bernard de n'avoir pu vous souhaiter la bienvenue à Fontfroide, murmura-t-il en se penchant au-dessus d'elle. Une indisposition sans gravité...

— Oui, oui, fit-elle en bâillant. Et les autres ?

— Les autres, mon enfant ?

— Mais oui, votre cousine... Bertrande.

— Ma cousine Bertrande ? Vous venez de la voir. C'est la mère de M. Edme. Une demi-sœur de mon grand-père a épousé en effet le fils de Mme Baudichon, née Boutegourde. Les Boutegourde s'allient à la famille de M. Edme par le mariage d'un sire de Boutegourde (je vous parle d'il y a fort longtemps) qui battait monnaie non loin d'ici, et d'une demoiselle étrangère dont je ne vous dirai pas le nom parce que, pour des raisons que je vous expliquerai à loisir une autre fois, nous préférons ne pas parler d'elle à Fontfroide, surtout devant la mère de M. Edme que cela indispose. Vous m'avez entendu nommer Mlle Éva, tout à l'heure ? Eh bien, Mlle Éva descend en ligne directe de cette demoiselle étrangère, est elle-même étrangère. Pour en revenir à la mère de M. Edme, je la considère à bon titre comme ma cousine, mais il vaut mieux devant elle ne pas faire allusion à cette consanguinité.

— Cela l'indisposerait, sans doute ?

— Elle n'admet pas les collatéraux, répondit-il tristement. Mais j'ai pour moi le droit civil et le droit canon. J'ai pour moi le droit tout court, ajouta-t-il en s'animant. Je puis, si je veux, l'appeler cousine Bertrande, et son fils...

— Cousin Edme.

Il mit sa main devant sa bouche d'un air effrayé.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, fit-il à voix basse. Appeler cousin M. Edme, je n'oserais pas, mon enfant. J'allais vous dire simplement que M. Edme me donnerait sans doute raison, s'il savait. Il est si bon ! Dans un instant, je vais vous montrer la porte de sa chambre, mais pas de bruit, n'est-ce pas ?

Le souffle lui manquait tout à coup et il porta la main à son coeur. Comme ils atteignaient le palier du deuxième étage, ils s'arrêtèrent. Penchée sur la rampe, la jeune fille jeta un coup d'œil dans le vide. La lampe du vestibule éclairait faiblement le grand puits noir où l'escalier en spirale se dressait comme une bête sortie de l'abîme. Par un geste involontaire, Élisabeth glissa son bras sous celui de M. Agnel et regarda autour d'elle, prise d'une inquiétude qu'elle ne songea pas à dissimuler. Sur les murs blancs qui répandaient une vague lueur, semblable au reflet de la neige dans l'obscurité, elle distingua les formes de grands oiseaux immobiles, placés l'un près de l'autre sur des socles, de sorte que leurs ailes étendues se touchaient.

— Est-ce que ma chambre est près de la vôtre ? demanda-t-elle à voix basse.

Il secoua la tête pour dire non et marchant devant elle, s'engagea sans bruit dans un long couloir; elle remarqua qu'il portait encore ses caoutchoucs. Au moment où ils passaient sous une lampe électrique fixée au plafond, M.

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